Conquérir Bruxelles « en s’inspirant d’Obama »

Ces 6 derniers mois, Le Soir m’a suivi pour tracer mes journées et analyser davantage les recettes du MR Bruxelles.

 

 

Obama l’a fait, pourquoi pas lui ? Bon, d’accord, on pousse un peu. Mais tout de même. C’est bien de la campagne menée par l’ex-président américain pour décrocher le bureau ovale que s’inspire la tête de liste MR en Région bruxelloise. Rien de moins.

David Leisterh sait qu’il part avec un handicap sérieux. Le patron des bleus de la capitale n’a récolté que 1.988 voix en 2019, à la 9 e place sur la liste régionale. Certes, il occupe désormais la première, mais pour approcher les 16.856 voix de la tête de liste de l’époque, Françoise Schepmans, il y a du boulot. « J’ai un déficit de notoriété gigantesque », confesse-t-il. « Je dois toujours justifier ma légitimité et ma crédibilité. » Sachant qu’en face, il affronte l’écolo Zakia Khattabi et le socialiste Ahmed Laoouej, quelque 30.000 voix chacun en 2019 (à la Chambre). Alors il en est convaincu : « Si je n’ai pas une campagne bien organisée, ça n’ira pas. »

Depuis deux ans, il y travaille donc, à cette campagne : esquissant un projet de réformes à imposer « en 100 jours » ; ciblant des thèmes prioritaires (sécurité, mobilité, propreté, mais aussi emploi et budget) ; élaborant avec un communiquant un narratif bruxellois spécifique… Et s’inspirant d’Obama, donc : « Il avait priorisé certains Etats dans lesquels il a fait campagne de façon approfondie en 2008, quartier par quartier. Nous avons fait pareil : on a mis le focus sur cinq communes dans lesquelles on a perdu le plus de voix en 2019, qui représentent quelque 300.000 électeurs, soit à peu près la moitié : Bruxelles-Ville, Molenbeek, Ixelles, Anderlecht et Schaerbeek. On n’avait plus parlé aux gens de ces quartiers depuis longtemps. Une fédération de commerçants locaux m’a dit un jour que j’étais le premier MR qu’elle rencontrait. »

David Leisterh a clairement identifié ses deux défis, l’un personnel, l’autre collectif : se faire connaître et implanter le MR dans les communes du nord de la Région – sans perdre l’électorat libéral classique du sud.

Alors c’est parti.

Stratégie en trois temps

« Bruxelles a été divisé en quartiers et on avance sur plusieurs de front et en trois temps : d’abord, de la promotion sur les réseaux sociaux pour annoncer notre venue. Puis du porte-à-porte. Ensuite un apéro-rencontre dans ces quartiers avec Sophie Wilmès ou Hadja Lahbib comme produit d’appel. » Au final, ce vaste programme a pris pas mal de retard, les apéros sont moins nombreux que prévu (trop lourds en logistique) et Sophie Wilmès, candidate à l’Europe, moins présente. Mais la stratégie de terrain reste prioritaire.

David Leisterh enfonce régulièrement le clou. Comme ce soir de décembre, dans un établissement de la Grand-Place, avec les responsables de la section de Molenbeek. « Je sais que vous faites du terrain, mais y a-t-il des endroits où on peut aller un peu plus ? Comment faire pour qu’un maximum de gens nous voie en un minimum de temps ? » Et il interroge : « Pourquoi n’y a-t-il pas davantage de faiseurs d’opinion issus de la diversité dans nos rangs à Molenbeek ? » Réponse : « Laisse-nous un peu de temps, David. Ce n’est pas simple pour eux de venir au MR à Molenbeek, ils ne sont pas bien vus quand ils franchissent le pas, même si cela évolue. » Car ceux qui sont tentés de franchir ce pas, explique-t-on, sont découragés, ciblés sur les réseaux sociaux, voire menacés. « Certains se sont retirés deux jours avant le dépôt des listes en disant que c’était trop de pression », confiera plus tard David Leisterh. Et la situation à Gaza ne facilite pas la tâche des bleus… Sans oublier, relèvent les Molenbeekois, qu’« il nous faut continuer à chouchouter notre électorat traditionnel ».

« Moi, je n’en dors plus »

Attirer de nouveaux profils sur la liste régionale, des candidats, singulièrement des candidates, issu(e)s de la diversité n’a pas été une sinécure. Plusieurs ont été approchées et ont refusé. David Leisterh y a passé des semaines. Avec cette difficulté : placer les nouveaux revient à reléguer parfois loin, voire à des places de combat, des libéraux de longue date ou députés sortants. Et à passer des dizaines de coups de fil délicats – « Je ne suis vraiment pas fait pour ça… » Ce jour-là de février, c’est Françoise Schepmans qu’il doit convaincre : « Es-tu prête à m’aider ou pas ? J’essaie d’avoir le reflet de la diversité dans le top dix. Tu as l’avantage de faire tes voix toute seule. Ça m’aiderait si tu acceptais la 8 e place (elle aura finalement la 9 e , NDLR). Dors dessus. Moi je n’en dors plus depuis trois semaines… »

Lors d’une soirée Tupperware à Auderghem, en mai, la question de la diversité lui est posée : « Pourquoi avoir été chercher des proches d’Emir Kir (ex-PS) ou Youssef Handichi (ex-PTB) ? » David Leisterh assume : « J’ai une certaine admiration pour les candidats MR qui vont plaider pour la neutralité de l’Etat, l’abattage avec étourdissement, chaussée de Gand ou gare du Nord. » « Ils le font ? », insiste un citoyen. « Oui, ils le font ! Notre parti défend une société universaliste qui repose sur un socle de valeurs communes, dont la neutralité de l’Etat, et pas l’immixtion de la religion dans la sphère publique. Je veux un groupe MR au parlement bruxellois très fort sur les valeurs et diversifié. Sinon, on contribue au communautarisme. Et je tiens le même discours ailleurs, pas que dans les quartiers cossus. »

« Bonjour, je me présente… »

Allons-y, ailleurs. Pour un porte-à-porte en fin d’après-midi, au départ de la place Jardin aux fleurs, au cœur de la ville de Bruxelles. « Certains n’avaient jamais vu un MR dans ces quartiers. On veut montrer qu’on n’est pas les crapules que d’aucuns disent. » Ils sont une bonne demi-douzaine, simple pin’s MR sur la poitrine et petit tract à la main, à se partager les deux côtés des rues.

Des portes restent closes, quelques habitants refusent poliment la carte tendue. Mais le discours de David Leisterhest rodé : « Bonjour, je suis tête de liste régionale pour le MR aux élections, je voudrais me présenter à vous. Cela fait longtemps que vous habitez ici ? Comment ça se passe ? » « Ça va, il y a des petits problèmes », répond cet homme issu de la diversité : « J’ai été cambriolé deux fois, ils ont tout pris, mes enfants ont parfois peur. » Le libéral laisse sa carte, « merci de votre accueil », sans un mot sur le programme sécuritaire du MR. « Non. Il faut agir au feeling et ici, il parlait plutôt du choc ressenti suite aux cambriolages. »

Plus loin, il va pouvoir développer, avec cet habitant « depuis 1989 », également d’origine étrangère, qui se plaint : « Le quartier a fort évolué, et pas en bien, c’est la galère en termes de sécurité… » Leisterh place son couplet : « On juge trop lentement en Belgique, et pas assez sévèrement. Le MR plaide pour une justice plus efficace. La sécurité, c’est la base. » L’homme opine, prend la carte qu’on lui tend. Comme cet autre, manifestement bleu convaincu, qui glisse : « Ici, tout va bien… à part Good Move. »

« Installer mon cabinet gare du midi »

Mais il en faut plus pour se faire largement connaître. Alors après les marchés de Noël en décembre, le tour des 19 sections locales en janvier, David Leisterh multiplie les apparitions : dans un salon de thé à Cureghem pour suivre un match de foot, au vernissage d’une expo, à une pièce de théâtre de jeunes de Molenbeek, au déjeuner d’entrepreneurs immobiliers à Uccle… Passant d’un rendez-vous à l’autre à moto trois roues. Car il lui faut maintenir deux fers au feu : « Le monde de la bourgeoisie et des entreprises au sud de Bruxelles et celui de la diversité au nord. »

En mars, il entame la phase active des débats : quatre, cinq, par semaine, dans les écoles, les organisations patronales ou syndicales, les associations, les médias… Il les prépare soigneusement : « Je dois tous les gagner, je n’ai pas le choix. Je ne peux pas me permettre une erreur, on ne me laissera pas me tromper. » A partir d’avril, les porte-à-porte prennent de l’ampleur, les soirées Tupperware chez des habitants aussi, où de 10 à 80 personnes viennent l’écouter, l’interroger. Entre les coups, il se relaxe avec les mémoires de Margaret Thatcher, après avoir lu Leadership d’Henry Kissinger, nage, court.

Ce soir de mai déjà évoqué, ils sont une quinzaine à Auderghem pour la soirée « Tup’ ». Ici, pour convaincre, David Leisterh personnalise son discours : « J’ai été indépendant, on a ouvert un petit resto avec ma femme, j’ai vu comment la mobilité, les charges, les taxes… peuvent tuer un petit commerce. Après deux ans, on a arrêté, pas moyen de gagner un euro. » Le discours passe… Et pour prouver le sérieux des réformes qu’il porte en termes de création d’emplois, de propreté, de mobilité, de partenariat public-privé, il explique avoir été découvrir « ce qui s’est fait à Glasgow, Copenhague, Malines, Paris ». Et à la classique remarque sur le côté clivant de son président et « meilleur ami », il réplique : « De moi, certains disent que je ne serai pas un bon négociateur ou un bon gestionnaire parce que je ne fais pas de la politique de façon agressive. »

Pendant près de trois heures, sans notes, il répond encore aux questions sur les loyers trop chers, le libéralisme social (« Je serais très heureux de gouverner à Bruxelles avec Les Engagés »), « l’islam politique » (« Je ressens un repli communautaire et religieux assez puissant dans certains quartiers »), la violence dans les rues… Et conclut sur cet engagement : « Je voudrais installer mon cabinet gare du Midi et y rester jusqu’au moment où le problème dans le quartier est résolu. »

Ce n’est pas la seule de ses singularités : « Depuis toujours », confie David Leisterh pourtant en pleine campagne électorale, « j’ai envie de donner des cours de français en Angleterre et de travailler le soir dans un bar fish and chips ! » Bon, ministre-président bruxellois, après le 9 juin, il est preneur aussi !

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